Michel Rocard:Discour de clôture - 中欧社会论坛 - China Europa Forum

Michel Rocard:Discour de clôture

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Michel Rocard, ancien premier ministre de la France

Mesdames, Messieurs, chers amis, Permettez-moi d’abord de saluer l’infatigable président du Forum Chine-Europe mon vieux complice Chen Yan, à la ténacité de qui nous devons de pouvoir tenir ce quatrième évènement du Forum Chine-Europe. Le premier fut en Chine à Nansha en 2005, j’ai eu l’honneur d’y être et il me semble retrouver quelques têtes connues qui y étaient à ce moment-là. Le second fut en Europe, 40 villes ont accueilli les ateliers, le final fut à Bruxelles, c’était en 2007. Le troisième fut à Hong Kong et Shanghai. J’ai assisté aux trois, nous sommes dans le quatrième de ces évènements, c’est le premier qui est spécialisé, et je reviendrais à la signification de ce choix décisif que vous avez fait du climat pour approfondir cette découverte mutuelle, cette création d’un système de relation entre les sociétés civiles d’Europe et de Chine en général.

L’idée du Forum-Chine Europe est venue d’un constat très fort qui est que la Chine dans son réveil va participer à la direction du monde, elle y participe déjà très fortement, ça fait peur à beaucoup de gens. Il y a dans le monde, il y en a peut-être aussi en Chine d’ailleurs, j’en connais aux Etats-Unis, des gens pour penser que ce bousculement des équilibres, ce changement formidable des rapports de force et des rapports entre nations dans le monde étaient d’une gravité telle qu’ils posaient des problèmes si difficile qu’ils seraient insolubles et que sa fin devrait être militaire. Il y a aujourd’hui des gens qui pensent à conclure les difficultés de nos rapports par la guerre. Tous les hommes et les femmes de paix et de bonne volonté internationale devraient combattre cette orientation dès le début, immédiatement et tout de suite.

Nous avons, nous autres européens, une vieille tradition, qui nous a fait découvrir que des nations peuvent faire de grandes choses ensemble par coopération mutuelle quand non seulement les gouvernements mais surtout autour d’eux et derrière eux les sociétés civiles, les entreprises, les organisations non-gouvernementales, les associations, les personnes, les universités, sont d’accord et poussent. De notre histoire, nous Français, nous gardons quantité de relations de cette densité et d’abord avec nos voisins allemands, anglais, belges, espagnols etc., mais aussi beaucoup avec l’Amérique Latine, le saviez-vous ? Aussi beaucoup avec l’Afrique, nous avons réussi à nous débarrasser du lien colonial en y préservant quand même des amitiés dans le respect mutuel. C’est vrai aussi dans tout le grand moyen Orient, il y a une densité de relations entre le France et les Pays Arabes qu’il n’y a pas avec beaucoup d’autres. Entre la France et l’Europe en général et la Chine rien de tel, nous ne nous connaissons pas. Votre réveil vous fait sortir de l’isolement. Les créations des Forums Chine-Europe, c’est au fond la prise de conscience et l’affirmation douloureuse que les relations entre 1 300 000 000 de Chinois et 500 000 000 d’Européen c’est beaucoup trop important pour être limité aux relations entre 18 membres d’un bureau politique du Parti Communiste Chinois et 28 Commissaires Européens ou quelques membres du gouvernement y compris le nôtre, ça n’a même pas de sens. Il faut développer entre nous, pour créer la compréhension nécessaire à la paix, ce tissu énorme et illimité de relations personnelles, techniques, scientifiques, intelligentes, culturelles mais aussi naturellement économiques et commerciales, qui non seulement rendent la guerre impossible mais surtout créent la compréhension mutuelle et les conditions nécessaires pour résoudre convenablement les problèmes.

Le premier Forum, celui de Nansha avait été institué pour qu’une soixantaine d’Européens répondent à une question venue de Chine qui était : « Mais Grand Dieu qu’est-ce-que c’est que cette Europe qui n’a ni politique étrangère ni armée, à quoi vous jouez ? A quoi ça sert ? Qu’est-ce-que vous faites ? ». Ce fut fascinant. Vous étiez 200 chinois à questionner, nous nous sommes je crois beaucoup entendus. Deux ans après dans une quarantaines de ville d’Europe, des Chinois déjà un peu plus nombreux venaient découvrir cette mosaïque de peuples qui se sont énormément faits la guerre, l’Europe est le continent le plus producteur de guerre de toute la planète. Nous étions en train d’apprendre notre réconciliation, en commençant par le non-militaire mais en commençant par l’échange et par une identification mutuelle d’abord culturelle. Et puis à Hong Kong et à Shanghai nous avons approfondi en commençant à nous interroger sur les priorités civiques, philosophiques et un peu culturelles au fond, de nos peuples ensemble. C’était aussi tout à fait fascinant. J’ai envie de dire qu’avec ce quatrième Forum nous passons au travail spécialisé, secteur par secteur, sommes-nous capables de nous comprendre ? Sommes-nous capables de cueillir chez l’autre l’information que nous n’avons pas, de nous faire confiance sur le détail des faits, sur les analyses ? Sommes-nous surtout capables ensemble de réfléchir à des propositions de solutions à apporter aux crises terribles que nous vivons ? Il y aurait d’autres sujets que le réchauffement climatique mais celui-là à lui tout seul suffit.

Monsieur Pierre Henri Guignard est le Secrétaire Général du Comité d’Organisation de la COP 21, nommé dans cette fonction par le Président de la République lui-même. Ce qui peut vous dire que notre rencontre n’a rien de marginal ou de décoratif qu’elle est jugée décisive par l’autorité gouvernementale française. Et pour être toujours d’ailleurs un vieil ami (25 ans) du Premier Ministre actuel Monsieur Manuel Valls, et pour m’être permis de lui avoir à deux ou trois reprises raconté ce que c’était les Forums Chine-Europe, et imploré de venir nous voir, je suis autorisé à vous dire à quel point il est triste d’avoir d’autres engagements ce que tout le monde peut comprendre. Mais en tout cas je suis autorisé à vous transmettre de lui aussi son approbation et la chaleur de son soutien de principe. Je gage d’ailleurs que si, quand on le lira, le texte final auquel vous êtes arrivés est novateur et important le soutien sera d’autant plus fort, il va de soi, car vous avez beaucoup travaillé, je le sais et j’espère que les résultats de ce travail auront une vraie publication et une vraie influence.

Parce que ce choix du climat a été le choix terrible, je vais vous faire une petite confidence privée, lorsque Monsieur le Président de la République Française François Hollande a choisi de faire que la France soit l’invitante, l’hôtesse de la 21ème Conférence des Nations Unie sur le Climat, je le lui avais déconseillé. J’ai été mortifié par l’échec flamboyant de la conférence de Copenhague, il n’y a pas si longtemps, j’avais un peu rêvé au moment du succès partiel de la conférence de Kyoto et je fais partie de ceux qui ont contribué depuis le parlement Européen à mettre en place le système de quota de vente, de limitation des émissions et l’Union Européenne seule a appliqué la recommandation que la conférence de Kyoto a mis en place. Donc je suis dans ce combat depuis toujours très engagé, y compris personnellement dans mes mandats et mes fonctions successifs.

Et merci à Christophe Guignard, Monsieur le Maire qui nous a splendidement reçus, il a fait allusion aux fonctions présentes que j’occupe toujours bizarrement, je suis toujours l’ambassadeur de France chargé des relations internationales relatives aux zones polaires. Ce n’est pas des zones polaires que viendra la solution au réchauffement climatique, ça se passe là où l’on produit du gaz carbonique, ça se passe dans les zones tempérées, ça ne se passe pas dans les pôles, mais les pôles sont les principales victimes, le réchauffement se fait trois fois plus vite dans la zone arctique que dans les zones moyennes tempérées. Et déjà nous avons des espèces vivantes menacées et déjà l’Arctique devient disponible pour être dès aujourd’hui un champ de recherche pétrolière et un champ d’activation de la recherche scientifique, demain un zone de pêche nouvelle et énorme et après-demain sans doute une immense route commerciale maritime, votre pays d’ailleurs fait savoir à haute et puissante voix son espoir et son ambition dans ce sens. J’ai même vu la Chine se plaindre d’une relative inefficacité du Conseil de l’Arctique, je peux dire que je suis d’accord avec elle et que je suis content de me retrouver une fois de plus en plein accord avec la diplomatie chinoise.

Et déjà là nous sommes devant une affaire qui est une conséquence du climat. Or cette affaire de climat est terrible, nous savons tous. Le Secrétaire Général Jean Pierre Guignard vous l’a dit à l’instant très en détails, les gouvernements peuvent mener l’humanité au suicide s’ils ne font rien, nous le savons, il faut donc qu’ils décident des choses lourdes et considérables, il faut même qu’ils acceptent des choses contraignantes pour le monde entier , c’est un de nos vœux pour la conférence de Paris, mais tous seuls ils ne pourront pas faire que notre industrie consomme moins de pétrole et de charbon et plus d’énergie nouvelles, faire que nos façons de produire soient plus économes en énergie, que nos façons de produire, de consommer et notamment de manger soit moins dévastatrices pour l’atmosphère. Tout le monde est complice et doit être dans le coup, nos gouvernements en fait sont timides, faute d’être assurés que nos sociétés civiles les y poussent, c’est là que je lirai avec une attention soutenue le produit écrit de vos travaux. Sommes-nous prêts à pousser des gouvernements à aller plus loin que le consensus électoral facile d’aujourd’hui n’accepte ? Parce que dans le consensus électoral facile il n’y va pas du sacrifice de comportements, de revenus, ou de privilèges ou de bien-être. Il faut qu’ils acceptent, et c’est à nous de le dire, des mesures rudes pour nos façons de vivre, pour nos façons de nous déplacer, pour nos façons de consommer de manière gaspilleuse et excessive des ressources naturelles en faisant des déchets dans des conditions largement excessives.

Le fait que les sociétés civiles de Chine et d’Europe commencent à se rassembler pour délibérer, avec l’espoir que chez vous comme chez nous, les participants à cette réunion feront tache d’huile autour d’eux, raconteront dans leurs départements universitaires, à leurs journaux locaux, le degré de convergence sur les comportements nécessaires pour demain auxquels nous sommes déjà arrivés aujourd’hui. N’ayez pas peur de n’être que deux cent, c’est un évènement, aujourd’hui il est petit, il est l’amorce d’une affaire immensément considérable et c’est pour vous rappeler cela que j’ai tenu à venir vous saluer à la fin en vous rappelant que les rencontres de sociétés privées à sociétés privées c’est difficile à organiser, parce qu’il n’y a pas d’argent pour ça dans les budget publics. Et par conséquent nous n’aurons jamais la puissance financière nécessaire à grandir aussi vite qu’il le faudrait. Que le besoin est là que nous le fassions, la compensation sera notre ténacité et donc la vôtre à tous. C’est pour cela que cela me fait plaisir de revoir quelques-unes des têtes connues du Forum de Nansha, il y a neuf ans maintenant derrière nous.

Ne sous-estimez pas ce que nous commençons, gardez les adresses de ceux avec qui vous avez parlé, continuons à échanger, à faire savoir sur le réseau internet qu’une conférence se fait, que des amitiés naissent et que des complicités techniques et scientifiques s’amorcent aussi. C’est ça l’esprit de cette réunion, et je suis très heureux que sa bonne tenue soit de nature à être prise en considération non seulement par les gouvernements de nos pays mais par l’ambassadeur la conférence de la COP 21 à qui vos conclusions seront soumises. Vous vous rendez-compte à quel point j’ai du plaisir à dire cela ? Parce que mon dernier aveu, ma dernière confidence sera de vous dire que quand nous avons commencé, nous n’étions que 35 ou 40 Européens à faire le voyage de Nansha, nous étions bien incertains sur ce que nous lancions, nous avions des doutes sur le fait que l’on pourrait continuer, nous avions des doutes sur le fait que suffisamment de représentants de l’université, du monde intellectuel de Chine pourraient suivre le travail, nous avions des doutes sur le fait que des chefs d’entreprise des deux côtés pourraient venir aussi travailler avec nous, ces doutes sont levés ! Tout commence et tout est permis, merci de l’avoir rendu possible, merci à vous et Bravo !

(D’après enregistrement)